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La Chambre Sociale de la Cour de Cassation a eu l’occasion de rappeler, dans un arrêt du 28 novembre 2018 (17-20.079), que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.
En statuant comme elle l’a fait, et en rappelant l’importance du lien de subordination comme critère de détermination de l’existence effective d’un contrat de travail, la Cour de Cassation rappelle à l’ordre un certain nombre d’entreprises qui recruteraient des « salariés » en contournant les problématiques d’application du droit du travail (heures de travail réalisées, congés payés, etc.) et des charges sociales.
En l’espèce, une société utilisait un site web et une application afin de mettre en relation des restaurateurs, et enseignes de restauration rapide, avec des clients passant commande par l’intermédiaire d’une plate-forme web. Cette plate-forme mettait également en relation les restaurateurs partenaires et des livreurs à vélo, exerçant alors leur activité sous un statut d’auto-entrepreneurs.
A la suite de la diffusion d’offres de collaboration sur des sites internet spécialisés, un livreur a postulé auprès de cette société, et effectué les démarches nécessaires en vue de son inscription en qualité d’auto-entrepreneur. Au terme du processus de recrutement, les parties ont conclu, le 13 janvier 2016 un contrat de prestation de services – et non un contrat de travail – puisque le livreur à vélo avait crée sa propre entreprise.
Compte tenu de ses conditions d’exercice, le livreur à vélo a considéré que le contrat de prestation de service qui le liait à la société détentrice de la plate-forme, devait faire l’objet d’une requalification. Il a donc saisi la juridiction prud’homale le 27 avril 2016 d’une demande de requalification de ce contrat de prestation, en un contrat de travail.
La Cour d’Appel de Paris, par un arrêt du 20 avril 2017, a rejeté les demandes du livreur, considérant entre autres que ce dernier n’était pas lié par un contrat de travail à la société défenderesse. Elle ajoute qu’en l’absence d’une telle relation de travail, le conseil de prud’hommes était incompétent pour connaître du litige.
Pourtant, malgré cette position de la Cour d’Appel de Paris, la Chambre sociale de la Cour de Cassation a tenu à rappeler, d’une part, la force de la notion de lien de subordination, d’autre part, que l’existence d’une relation de travail ne dépend pas du document contractuel par lequel les parties se sont engagées, mais bien de la situation de faits.
Pour casser et annuler l’arrêt susmentionné de la Cour d’Appel de Paris, la Cour de Cassation a précisé que « l’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier, la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et, d’autre part, que la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier ». Dès lors, toujours selon la Chambre Sociale, les juges du fond n’ont pas tiré les conséquences légales de ses constatations « dont il résultait l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination« .
Si l’appréciation des éléments de fait et de preuve relève effectivement du pouvoir souverain des juges du fond, la Chambre Sociale a toutefois exercé son pouvoir de contrôle de motivation, en s’assurant que toutes les conséquences légales avaient été tirées.
Pas de bouleversement, donc, avec cette décision qui rappelle avec conviction l’importance du lien de subordination comme critère de détermination de l’existence d’un contrat de travail, mais l’application à ce type d’activité de coursiers/livreur risque toutefois de faire naître quelques angoisses chez les mastodontes de la livraison de repas en France.
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/1737_28_40778.html